La Chine est étroitement liée à la Russie par de nombreux accords multilatéraux. Par exemple, par l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) ou les BRICS (un acronyme pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). La Chine est maintenant une puissance, et son président ne peut pas être traité comme une personne facile à corrompre. La Chine a ses propres lignes directrices en politique étrangère. Je ne pense pas qu’elle va travailler beaucoup avec les États-Unis. Les pays émergents comme la Chine sont conscients qu’un système multipolaire d’alliances est extrêmement pertinent.
On peut supposer, bien sûr, une certaine coopération avec les États-Unis dans le domaine économique, par exemple, la relation bilatérale est très développée dans le commerce. Les institutions financières de Wall Street sont installées en Chine depuis de nombreuses années. D’autre part, il y a une véritable collision dans le domaine militaire : dans la mer de Chine méridionale, le détroit de Taiwan, etc.
Il faut également noter que les relations bilatérales entre la Chine et la Corée du Nord ne sont pas si bonnes. Il y a un jeu de puissance là-bas, de sorte que du point de vue des Chinois, il peut y avoir un certain opportunisme dans une relation avec les États-Unis, mais en termes de questions plus fondamentales, je ne le pense pas. L’installation de missiles en Corée du Sud est dirigée contre la Chine, et non contre la Corée du Nord.
La base navale et la force aérienne tripartite (États-Unis, Japon et Corée du Sud) située sur l’île de Jeju, une île au sud de la péninsule coréenne, près de Shanghai, a été utilisée par le Japon comme base stratégique pendant la Seconde Guerre mondiale. Et maintenant, les États-Unis prétendent militariser toute la frontière maritime de la Chine, et la haute direction du Parti communiste chinois le sait.
Un secteur des élites chinoises est très pro-États-Unis. Les couches intellectuelles spécialisées en sciences sociales et économiques, certains groupes d’affaires sont très pro-États-Unis. Ainsi, en Chine, il y a différentes factions et les États-Unis cherchent des alliances avec Pékin visant à affaiblir la Russie, en provoquant des divisions.
Mais les Chinois ne révéleront jamais publiquement leurs intentions. Il y a des contradictions dans leurs discours, parce que les Chinois ne dévoilent pas leurs objectifs. Les Chinois continuent à travailler avec qui leur convient. Les groupes d’entreprises savent parfaitement bien que dans certains domaines, il y a confrontation. Je parle, par exemple, du secteur pétrolier, il y a un affrontement face-à-face avec les intérêts américains. Voyons aussi comment la Chine a connu une expansion, grâce à ses relations commerciales en Afrique et en Amérique latine, cela représente un danger pour l’hégémonie économique des États-Unis.
Mais les Chinois n’ont pas vraiment un projet hégémonique dans la construction de ces relations commerciales, du moins jusqu’à présent. Autrement dit, leurs accords économiques ne sont pas accompagnés par des relations militaires, c’est la différence avec les États-Unis. Washington a un intérêt en Amérique latine, mais signe également des accords de sécurité, installe des bases militaires, mais la Chine ne fonctionne pas ainsi. Les Chinois entrent en Afrique et créent des relations d’affaires fructueuses avec les gouvernements, mais cela va à l’encontre des intérêts occidentaux, car cela donne plus de souveraineté aux gouvernements nationaux qui font des affaires avec les Chinois. Pour cette raison, la confrontation se produit non seulement en Asie à travers la géopolitique du « pivot » décidée par Obama, mais aussi d’une façon plus générale.
– Parlons de l’Europe. Tout semblait indiquer que Trump allait prendre ses distances avec l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), mais il s’est radouci quand il a dit qu’il ne la considérait plus comme « obsolète ». D’autre part, l’Allemagne est accusée de « manipuler l’euro » pour son propre bénéfice, tandis qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires de l’administration Trump ont proposé de réduire le rôle de Washington, à la fois au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale. Quel avenir pronostiquez-vous quant au rôle des États-Unis dans les exercices de l’OTAN ? Trump est-il un ennemi des institutions nées à Bretton Woods ?
– Ce que nous voyons en Europe, c’est que les gouvernements n’ont plus la souveraineté d’autrefois. Il y a des interférences des États-Unis dans la politique intérieure de plusieurs pays, dont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et maintenant même la France. Dans ce dernier cas, l’intervention a commencé à prendre forme sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, qui, durant la campagne électorale était le candidat favori des États-Unis à la présidence.
L’OTAN est une organisation dominée par le Pentagone. L’acteur le plus important est Washington : les pays membres de l’OTAN financent un grand appareil militaire qui sert les intérêts de Washington. Trump, bien sûr, veut davantage de fonds pour l’OTAN. Tous les accords de coopération militaire que signent les États-Unis, y compris ceux établis avec la Corée du Sud et le Japon, avaient pour objet d’imposer aux pays participants le financement des guerres promues par les États-Unis. Et l’OTAN suit la même logique : tous les États membres la financent, mais sa ligne de conduite est déterminée au Pentagone.
Quant aux institutions de Bretton Woods, nous savons que ce sont des entités étroitement liées à la puissance économique des États-Unis. Je parle de Wall Street, du département du Trésor, des think tanks, etc. Il s’agit de la substance même de ce que nous appelons le « consensus de Washington ». Trump signale qu’il serait bon que les autres pays membres financent plus les institutions de Bretton Woods que les États-Unis, mais c’est là un discours totalement dépassé.
Trump ne comprend pas la ligne de conduite du FMI en Grèce. Regardez, lorsque le FMI intervient dans un pays, en Grèce ou ailleurs, et dit « nous allons prêter 1 000 millions de dollars », la réalité est plutôt que l’argent ne pénètre jamais dans le pays. Cet argent, fictif par ailleurs, est utilisé pour financer les créanciers, qui pourraient aussi bien être des banques d’investissement de Wall Street ou le gouvernement allemand. Un prêt du FMI ne vise pas à financer le développement économique d’un pays en difficulté, il est destiné à assurer le paiement de la dette, il s’agit d’un instrument de domination.
Chaque fois que le FMI prête de l’argent à la Grèce, cet argent va dans les coffres de la Deutsche Bank ou de Goldman Sachs, c’est ainsi que les choses fonctionnent. Et ces prêts sont financés par les pays membres du FMI. Le gouvernement grec prend l’argent, mais ces ressources se terminent généralement dans les poches des grands banquiers.
– Enfin, par rapport à ce qui advient, devant la menace réelle d’une troisième guerre mondiale, qui cette fois sera nucléaire, que pouvons-nous faire pour mettre en place une résistance globale ? Comment la société peut-elle éviter un dénouement dramatique ?
– Il est très important que l’opinion publique reste en état d’alerte contre les incursions militaires américaines dans le monde entier, en particulier à la frontière avec la Russie, à la frontière de l’Ukraine, au Moyen-Orient et aussi en Corée du Nord. La possibilité d’une attaque nucléaire par les États-Unis, que ce soit délibéré ou accidentel, est quelque chose à prendre au sérieux. Il faudrait examiner dans le détail les importantes études concernant l’impact d’une guerre nucléaire qui pourrait conduire à la fin de l’humanité telle que nous la connaissons. Ce sont des études tout à fait sérieuses, qui donnent à penser que même une guerre nucléaire régionale serait une catastrophe mondiale.
Quant à ce qu’il faut faire, je voudrais souligner deux éléments. Tout d’abord, les mouvements de masse sont nécessaires. Mais ces mouvements doivent avoir lieu à l’Ouest. En outre, ils doivent rompre les liens avec les milieux progressistes, qui ont été complices du statu quo autant en Europe qu’aux États-Unis. En France, c’est très clair, mais aussi aux États-Unis, où les secteurs progressistes du Parti démocrate ont promu les intérêts de l’État profond.